Page 35 - Les tabernacles du Québec des XVIIe et XVIIIe siècles
P. 35
s-je rappeler qu’il y a un siècle, les Québécois ignoraient pratiquement tout d’un patrimoine en
dormance. Aujourd’hui, des artefacts autrefois négligés bénéficient d’une curiosité légitime grâce à
de nouveaux éclairages. Dans mon esprit, il ne fait pas de doute que les générations à venir sauront
s’émerveiller à leur tour devant nos tabernacles, témoins des pratiques religieuses d’un autre temps,
certes, mais aussi d’une époque où on savait investir collectivement dans la création d’œuvres d’art
exceptionnelles. Devant la beauté intrinsèque de ces meubles dorés ou polychromes, on voudra en
savoir davantage, découvrir les codes d’usage de ces ouvrages et apprécier le génie des sculpteurs et
ornemanistes qui les ont créés aux xviie et xviiie siècles. Par-delà les usages, pratiques, rituels, traditions
formelles, styles ou emprunts, le tabernacle se révèle en effet un meuble liturgique qui transcende
ses finalités originelles dans la mesure où il témoigne d’un art de la valeur ajoutée. Aujourd’hui, on
parlerait de design, cet art du multiple qui permet de transcender l’utilitaire. Or, le tabernacle est un
art du singulier rendu possible par le collectif, puisque c’est la mise en commun des moyens modestes
d’un groupe d’individus qui a permis de créer quelque chose d’unique appartenant à tout le monde.
Une sorte d’art public avant l’heure, quoi !

À nous, donc, de reconnaître la pure beauté de cette valeur ajoutée et de goûter en filigrane les mots
rares associés à ce meuble d’exception. Des mots qui constituent autant d’invitations à prendre le
temps de regarder, d’apprécier et d’admirer  : vasques, godrons, balustres, espagnolettes, acanthes,
festons, bolus, monstrances, édicules, arabesques, palmettes, prédelles, ressauts, treillis… Un beau
tabernacle ancien, ça chante à l’œil et à l’oreille pour peu que l’on sache garder nos sens en éveil.
Le négliger, ce serait sacrifier une part de notre héritage, d’autant plus qu’après l’ignorance, les pires
ennemis du patrimoine seront toujours l’indifférence et la négligence.

Pour conclure, je veux saluer ce que je considère comme une contribution majeure à l’histoire de la
sculpture et des arts décoratifs en Nouvelle-France et après la Conquête. Au fil d’une entreprise de
recherche exemplaire, Daniel Drouin et Claude Payer ont su redonner vie et parole à de précieux
témoins de l’art d’un autre temps, leur consentant en quelque sorte un passeport pour l’éternité !
Pour leur ancien professeur, c’est une grande satisfaction de mesurer tout ce qu’ils ont accompli à
l’égard de leur objet d’étude. Et quel plaisir de pouvoir en apprendre autant par l’entremise de disciples
brillants et engagés, capables d’aller encore plus loin que soi sur les sentiers de la connaissance, de la
reconnaissance, de l’appropriation et de la transmission d’un patrimoine d’exception.

Il faut les en remercier et les en féliciter, individuellement et collectivement.

Québec, ce 6 janvier 2016.

John R. Porter, Ph. D., MSRC
Directeur honoraire du Musée national des beaux-arts du Québec et
récipiendaire du Prix Gérard-Morisset (2004)

Le maître-autel de l’ancienne église Saint-Onésime-d’Ixworth, avant sa
disparition dans l’incendie de 1972. Le tabernacle, œuvre de Jean Valin
de 1745, et l’autel en tombeau, œuvre de François Baillairgé de 1804,
provenaient de Sainte-Anne-de-la-Pocatière. (voir ill. 110)

226 • Les tabernacles du Québec des xviie et xviiie siècles
   30   31   32   33   34   35   36   37   38   39   40