Page 2 - 50 plantes envahissantes
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nt-propos
Dans le mythique ouvrage de la Flore lauren- se réchauffe, il y a 17 000 ans, la glace fond
tienne, publié en 1935 par le Frère Marie- et une vaste contrée rocheuse stérile se révèle
Victorin (1885–1944), on ne trouve qu’une peu à peu. Qu’à cela ne tienne, des « enva
seule carte de répartition de plante pour hisseurs » – toutes sortes de microbes,
le Québec, celle du butome à ombelle. de plantes et d’animaux – en provenance
Le vénérable botaniste sélectionne non pas une du sud colonisent cet espace qui leur est
espèce typiquement québécoise, mais plutôt offert sur un plateau d’argent. Le territoire
une plante introduite d’Europe. La Flore lauren- prendra, quelques milliers d’années plus
tienne est pourtant destinée à faire connaître tard, l’aspect qu’on lui connaît de nos jours,
le patrimoine naturel de la province, alors peuplé de vastes forêts et de prairies plus
largement méconnu, et non celui d’outre- au sud ou recouvert de toundra plus au nord.
mer. N’est-ce pas là un choix bien étrange ? Depuis, d’autres espèces franchissent de temps
Il faut savoir que dès son tout jeune âge, à autre, le plus souvent par hasard, des obstacles
le Frère Marie-Victorin, Conrad Kirouac comme les océans et les chaînes de montagnes
de son vrai nom, est fasciné par la facilité et finissent par s’établir avec plus ou moins
avec laquelle ces plantes venues d’ailleurs de succès dans des endroits où on ne les a jamais
se sont « acclimatées, quelquefois au point vues auparavant. Ces nouvelles venues tissent
de devenir de véritables fléaux »1. En 1908, peu à peu des liens avec les espèces locales
il consacre un de ses premiers articles scien- (indigènes). Ces dernières n’en subissent
tifiques à ce butome qui vient tout juste guère d’inconvénients.
d’apparaître sur les rives du fleuve Saint-
Laurent2. Il voit, au fil des ans, les populations
de cet envahisseur exploser. Le phénomène
est si spectaculaire qu’il ne peut s’empêcher
d’écrire à nouveau sur le sujet en 19433,
tout juste avant sa mort. Il a donc la chance
d’observer, du début jusqu’à son point culmi-
nant, une invasion biologique en règle.
Difficile de rester indifférent !
Les invasions biologiques par des espèces
exotiques existent depuis bien plus long-
temps que l’époque de Marie-Victorin.
Lors de la dernière période glaciaire, qui
a débuté il y a environ 80 000 ans, le Canada
se voit recouvrir d’épais glaciers qui éli-
minent toute trace de vie. Lorsque le climat
1 Marie-Victorin, 1935, p. 77.
2 Marie-Victorin, 1908.
3 Marie-Victorin, 1943.
Dans le mythique ouvrage de la Flore lauren- se réchauffe, il y a 17 000 ans, la glace fond
tienne, publié en 1935 par le Frère Marie- et une vaste contrée rocheuse stérile se révèle
Victorin (1885–1944), on ne trouve qu’une peu à peu. Qu’à cela ne tienne, des « enva
seule carte de répartition de plante pour hisseurs » – toutes sortes de microbes,
le Québec, celle du butome à ombelle. de plantes et d’animaux – en provenance
Le vénérable botaniste sélectionne non pas une du sud colonisent cet espace qui leur est
espèce typiquement québécoise, mais plutôt offert sur un plateau d’argent. Le territoire
une plante introduite d’Europe. La Flore lauren- prendra, quelques milliers d’années plus
tienne est pourtant destinée à faire connaître tard, l’aspect qu’on lui connaît de nos jours,
le patrimoine naturel de la province, alors peuplé de vastes forêts et de prairies plus
largement méconnu, et non celui d’outre- au sud ou recouvert de toundra plus au nord.
mer. N’est-ce pas là un choix bien étrange ? Depuis, d’autres espèces franchissent de temps
Il faut savoir que dès son tout jeune âge, à autre, le plus souvent par hasard, des obstacles
le Frère Marie-Victorin, Conrad Kirouac comme les océans et les chaînes de montagnes
de son vrai nom, est fasciné par la facilité et finissent par s’établir avec plus ou moins
avec laquelle ces plantes venues d’ailleurs de succès dans des endroits où on ne les a jamais
se sont « acclimatées, quelquefois au point vues auparavant. Ces nouvelles venues tissent
de devenir de véritables fléaux »1. En 1908, peu à peu des liens avec les espèces locales
il consacre un de ses premiers articles scien- (indigènes). Ces dernières n’en subissent
tifiques à ce butome qui vient tout juste guère d’inconvénients.
d’apparaître sur les rives du fleuve Saint-
Laurent2. Il voit, au fil des ans, les populations
de cet envahisseur exploser. Le phénomène
est si spectaculaire qu’il ne peut s’empêcher
d’écrire à nouveau sur le sujet en 19433,
tout juste avant sa mort. Il a donc la chance
d’observer, du début jusqu’à son point culmi-
nant, une invasion biologique en règle.
Difficile de rester indifférent !
Les invasions biologiques par des espèces
exotiques existent depuis bien plus long-
temps que l’époque de Marie-Victorin.
Lors de la dernière période glaciaire, qui
a débuté il y a environ 80 000 ans, le Canada
se voit recouvrir d’épais glaciers qui éli-
minent toute trace de vie. Lorsque le climat
1 Marie-Victorin, 1935, p. 77.
2 Marie-Victorin, 1908.
3 Marie-Victorin, 1943.